L’homme véritable et l’homme déchu
En vérité Nous avons créé l’homme dans la plus belle rectitude, puis Nous l’avons rejeté pour être le plus vil des êtres vils. (Coran : 95, 4-5)
« … l’homme véritable est plus conscient des réalités supérieures que n’importe quelle créature terrestre, il est beaucoup plus réceptif envers elles, et il les reflète d’une manière beaucoup plus complète.
L’incroyant, au contraire, n’est pas seulement inconscient de ces réalités, mais, à la différence de toutes les autres créatures terrestre, il va même jusqu’à les nier (1).
Ainsi, étant le moins réceptif à leur égard, il est l’être le moins symbolique du monde ; et, puisque les choses n’existent qu’en tant qu’elles sont des symboles, l’incroyant est aussi la moins réelle des créatures terrestres : il se trouve, pour ainsi dire, sur le bord même du néant. Ceci s’applique non seulement à lui-même, mais à tout ce qu’il produit, puisque ses arts et ses sciences reposent en effet sur la supposition que ce monde est indépendant, et que les choses qui s’y trouvent, loin d’être des symboles, en sont même les réalités suprêmes. Il faut pourtant que l’incroyant et ses oeuvres soient encore symboliques à quelque degré, sinon ils ne pourraient simplement pas exister ; mais leur symbolisme, c’est-à-dire leur pouvoir de rappeler les réalités supérieures, est tellement faible qu’on peut les comparer à des ombres à peine perceptibles et sur le point de disparaître complètement.
D’ailleurs, lorsqu’un peuple atteint un certain degré d’incroyance, lui et ses oeuvres disparaissent toujours, comme ont disparu dans le passé des peuples sans nombre tels que ceux de ‘Âd et de Thamud, et d’autres mentionnés dans le Coran, et comme disparaîtra, dit la tradition, toute l’humanité à la fin de l’âge actuel, quand elle atteindra, sous le règne de l’Antéchrist, le comble de l’incroyance, exception faite de quelques-uns (2) destinés à survivre pour entrer dans le règne du Messie.
Tandis que l’homme véritable est toujours remarquablement unique dans son aspect terrestre, l’incroyant tend vers l’uniformité avec ceux de son espèce. En fait, ce qui a déjà été dit de l’homme déchu pour le définir par contraste avec l’homme véritable, s’applique à l’incroyant de la façon la plus extrême. Puisqu’il est aussi éloigné que possible du souvenir « vertical » des vérités spirituelles, tout ce qui le concerne est, pour ainsi dire, emprunté « horizontalement » ; de cette façon, il manque à tel point de spontanéité et d’originalité qu’on peut à peine le considérer en lui-même comme une entité qui se distingue de la masse générale de ses semblables. Il a presque cessé d’être le microcosme et a été absorbé par le monde ambiant, dans lequel il est un simple représentant de l’espèce humaine entrée dans sa dernière phase de corruption et de décrépitude.
Cette fonction le fait apparaître comme l’opposé de l’homme véritable, même par rapport à la liberté dont lui, l’incroyant, revendique la possession plus que de toute autre chose. En effet, c’est précisément parce qu’il reconnaît qu’il n’est pas libre que l’homme véritable possède à un tel degré une liberté relative. Mais l’incroyant, tout en prétendant être indépendant, est la moins libre de toutes les créatures : son destin est de montrer, par son refus d’être un symbole, par quoi il touche à la limite du néant, que l’homme – qu’il croit être la réalité la plus élevée – n’est rien si ce n’est un symbole ; et aussi, faisant de lui-même un barrage au lieu d’un pont entre ce monde et l’autre, il montre aussi, par la destruction de ce monde, résultat de son attitude, que ce monde-ci, loin de se suffire à lui-même, dépend entièrement de l’autre monde. »
(Martin Lings Le livre de la certitude)
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(1) Le mot kafir dont « incroyant » est une traduction courante, veut dire littéralement « celui qui nie ».
(2) Semblables dans leur destin aux familles de Noé et de Lot, ils seront parmi les compagnons du Mahdi, et ils ne sont autres que les élus dont parlait le Christ en décrivant les jours de destruction qui précéderont sa deuxième venue : « Et si ces jours-là n’étaient abrégés, aucune créature ne serait sauvée ; mais par égard pour les élus ces jours-là seront abrégés. » (Matthieu XXIV, 22) [Au sujet des compagnons du Mahdi, nous renvoyons le lecteur au livre d'Ibn 'Arabi Le Mahdi et ses Conseillers, éd. Mille et une lumières, 2006.]
