L’Islam indonésien
Le mihrab d’une mosquée à Bandung en Indonésie
Bien que situé de l’autre côté du globe par rapport au berceau de l’Islam, cet état-archipel est le plus grand pays musulman du monde.
Sur les 350 groupes ethniques différents qui constituent ses 210 millions d’habitants dont la plupart sont concentrés sur l’île de Java (115 millions d’habitants sur une superficie équivalente au 2/3 de la France), 90 %, sont musulmans.
Rappel géographique
Située entre la péninsule d’Asie du Sud-Est et l’Australie, l’Indonésie est composée de milliers d’îles s’étendant sur près de 5 000 km, baignées par l’océan Indien au Sud, la mer de Chine au Nord et l’océan Pacifique à l’Ouest.
Sa capitale Jakarta, est une ville cosmopolite comptant plus de 12 millions d’habitants.
Malgré les 250 langues et dialectes qui y sont encore parlés, la langue officielle est le Bahasa Indonesia.
Diffusion de l’Islam
L’islamisation de l’Indonésie aux dépens des cultes hindo-bouddhistes est le résultat d’un long processus qui s’est étalé sur plusieurs siècles. Elle a suivi les routes du commerce et s’est diffusée à partir des côtes, de Sumatra vers la péninsule malaise, de la côte nord de Java vers les Moluques.
Dès le début de notre ère le commerce de l’Archipel -une des terres les plus riches en biodiversité-, est fermement établi avec la Chine et l’Inde.
Sumatra renommée pour son or et l’île des Moluques pour ses épices, dont, entre autres, le clou de girofle, le poivre et la noix de muscade attirent les commerçants étrangers.
Aussi, il est unanimement reconnu que l’Islam s’est implanté par l’intermédiaire de marchands musulmans venus de ces deux pays dès les premiers siècles de l’Hégire (VII siècle) ; des anales chinoises relatent la présence d’un comptoir musulman sur la côte occidentale de Sumatra dès l’an 674.
L’expansion a continué imperceptiblement au rythme de l’essor du commerce ; c’est par Ceylan que le commerce avec la Chine se développa rapidement et au VIIIe siècle, on comptait un grand nombre de commerçants musulmans à Canton ; la coloration du génie ethnique indien et perse -l’islam ayant traversé la Perse avant d’atteindre l’Inde- dans la pratique islamique des îles témoigne de cette diffusion qui n’a cessé de se poursuivre.
Bien que des inscriptions musulmanes datent du XIe siècle [1], ce n’est vraisemblablement qu’à la fin du XIIIe siècle que l’Islam s’est totalement enraciné lors de la fondation du royaume islamique de Samudra Pasai dans le nord de Sumatra. La tombe du Sultan qui s’y est conservée date de 1297 et porte une inscription entièrement écrite en arabe. Ce qui corrobore le fait que Marco Polo avait noté qu’en 1292 les habitants de la pointe nord de Sumatra étaient déjà convertis à l’islam. Au cours du siècle suivant, le célèbre voyageur Ibn Battuta a évoqué les relations constantes entre l’archipel, l’Inde et la Perse, en décrivant les liens d’amitié que le pieux sultan de Samudra avait noués avec la cour de Delhi et sa protection à l’égard de deux savants d’origine persane.
Au XVe siècle des textes chinois nous révèlent l’existence de nombreuses communautés chinoises établies dans la partie est de la côte nord de Java, qu’on appelle Pasisir. Selon Ma Huan, l’interprète qui accompagne Zheng He, , la plupart de ces Chinois étaient convertis à l’islam. A la fin du XVe siècle, un Chinois musulman du nom de Cek Ko Po fonde un comptoir à Demak sur le Pasisir.
Enracinement
Les commerçants musulmans, scrupuleux des contrats et des engagements, amenaient une protection et une intégrité dans les rapports sociaux et commerciaux accueillies avec bonheur et la plupart liés au taçawwuf ont touché un noyau indestructible : le cœur… des habitants et des souverains ; ces derniers ainsi convertis scellèrent tout naturellement l’islam dans l’Archipel. On peut noter, par exemple, qu’au XVIe siècle, un certain Tomé Pires, apothicaire de Lisbonne qui séjournait à Malacca remarque que tous les rois de Sumatra étaient musulmans. De plus, une tradition javanaise rapporte que neuf Amis de Dieu [les Wali Sanga] d’origine chinoise, ont été les premiers à propager l’Islam à Java.
Tout en conservant le génie propre à chaque ethnie, cette diffusion axiale a permis de revivifier une foi bien présente mais souvent étouffée par un patchwork de pratiques séculaires et de l’enraciner profondément sur ces îles aux âmes éprises d’Absolu. Comme dans toutes les communautés musulmanes du monde, la spiritualité est en son coeur, et c’est l’osmose entre cet aspect essentiel et l’intégration de certains éléments cultuels antérieurs qui a façonné la physionomie si caractéristique de l’Islam indonésien.
L’époque moderne
L’époque moderne est marquée par la période coloniale et par l’invention du bateau à vapeur qui vont en changer quelque peu l’aspect. La modernité dévastatrice fait son entrée et les voyages deviennent plus faciles ; les indonésiens de couches aisées vont s’ouvrir à d’autres contrées ; ils vont découvrir et étudier divers courants de pensées. Ces nouvelles idées vont faire leur chemin et aboutir à une tentative de réforme de l’islam indonésien. Plusieurs courants réformistes font voir le jour, tel que celui du puriste Muhammad Abdal Wahab en Arabie Saoudite ou encore du rénovateur égyptien Muhammad Abduh dont le maître à penser et ami était Jamal al-din al-Afghani. Va éclore,
- la Muhammadiyah, fondée en 1912 par le théologien et commerçant Kyai Haji Ahmad Dahlan , mouvement socio-culturel progressiste très organisé en matière d’éducation, de service sociale, de culture, de santé, de vie économique, de droits, de publications, de mouvement de la jeunesse et de mouvement des femmes. Une section féminine voit le jour en 1927 par laquelle des écoles et des orphelinats sont construits, des foyers pour étudiantes sont créés, des cours pour les femmes sont dispensés sur des thèmes aussi variés que la santé mentale ou l’artisanat.
- la Nahdatul Ulama, fondée en 1926 par des oulémas javanais et dirigé en première main par Hasyim Asy’ari (1871-1947) pour contrer le nationalisme, le communisme et le réformisme de la Muhammadiyah. Implantée largement dans les zones rurales et principalement dans le centre et l’est de Java, leurs activités ayant pour but de défendre l’islam traditionnel veillent à la conservation de l’orthodoxie des livres religieux, à l’assistance aux orphelins et aux pauvres, gèrent des écoles religieuses et des mosquées ainsi que des organismes pour promouvoir un commerce, une industrie et une agriculture conformes aux principes islamiques.
Ainsi, de nos jours, inévitablement, l’Archipel n’échappe pas aux conflits d’écoles, aux turbulences du modernisme, de la politique internationale et des réactions idéologiques diverses et diversifiées qu’elles entraînent ; malgré cela, l’islam traditionnel fait toujours partie de la respiration des insulaires ; on dit que les classes moyennes urbaines et les îles extérieures (comme Sumatra, par exemple) privilégient un certain rigorisme comparativement à la pratique des zones rurales ou de Java qui aurait la primeur des exercices spirituels.
__________________
[1] On trouve, dans un mausolée musulman à Leran dans l’est de Java, une pierre tombale portant une date correspondant à 1082 après J.-C.
