Le rire en Islam
« Vers ton Seigneur sont les fins
Il est Celui qui faire rire et pleurer »
(sourate L’étoile / verset 42-43)
Selon ce verset coranique, l’humour à l’orée du rire apparaît comme une composante essentielle de l’Islam. Puisque Dieu est La Source du rire et que vers Lui est la fin, sa fonction, comme toutes choses, est d’y reconduire ; il n’a donc de fondement et de réalité qu’en Lui ; son éclat est éclat de Vérité.
A notre époque où l’humour est tourné à l’envers, où l’on rit en se raillant de tout d’une façon souvent extrêmement grossière, où la méchanceté, la calomnie et le cynisme atteignent leur paroxysme [1], les notions traditionnelles donnent une orientation à la pratique de l’humour qui au fond s’avère être une activité très sérieuse qui engage notre responsabilité.
L’Envoyé de Dieu (saws) était très souriant [2]. Toujours de bonne humeur, il ne manquait pas d’humour ; s’il réprouvait le rire excessif qui entraîne la mort du coeur [3], il riait volontiers
-à bon escient-, d’un rire qui n’excédait pas le large sourire [4]. Quand il plaisantait, il était toujours pudique, bienveillant et véridique. Ainsi, d‘après Abou Houreyra, des compagnons dirent :
- Ô Messager de Dieu ! tu plaisantes avec nous de temps à autre. Il répondit :
- Je ne dis alors que la vérité. « [5]
Plaisanter entraîne une jovialité dans les relations qui renforce les liens fraternels et conjuguaux
Anas ben Mâlik a rapporté :
» Un homme vint demander à l’Envoyé de Dieu (saws) une monture. Celui-ci lui répondit :
— Je mets à ta disposition un enfant de chamelle.
— Ô Messager de Dieu ! Que ferais-je avec un enfant de chamelle?
- Les chameaux n’enfantent-ils pas que des chameaux ? » répondit-il ».
***
Aicha (ra) rapporte : « Une fois, je partis en voyage avec le Prophète . A cette époque, j’étais encore très jeune et très fine. Le Prophète demanda aux gens d’aller devant (et de nous laisser seuls).
Les gens s’éloignèrent donc. Ensuite, il me dit : « Viens, allons faire une course. » Nous fîmes donc la course et je la remportai. Il laissa l’affaire jusqu’à ce que je prenne du poids et que j’oubliai l’incident de la course. Il m’emmena en voyage une autre fois et me fit la même proposition de la course.
Nous fîmes donc la course et c’est lui qui la remporta. Il commença à rire et (pour me taquiner) me dit : « Celle-ci est pour l’autre. » (C’est-à-dire que cette course est la revanche pour la première course). » [6]
Plaisanter permet une récréation pour une meilleure concentration
Le mot récréation vient du latin recreatio qui a le sens étymologique de ranimer (recreare) qui est le fait de reconstituer la force de travail et la mobilisation de l’attention par une respiration. Il est en effet bon de se détendre pour mieux poursuivre son œuvre. L’Envoyé (saws) ne disait-il pas : «Allégez vos coeurs instant après instant car quand les coeurs sont las, ils s’aveuglent» ?
L’humour et le rire comme outil pédagogique
- D’éducation spirituelle
Dans la biographie de l’Envoyé (saws), on relate qu’un jour il déclara à Safia, sa tante paternelle :
« Les vieilles femmes n’entreront pas au Paradis ».
La noble femme, d’un âge avancé, fondit en larmes ; alors il ajouta :
« Mais toutes seront ressuscitées avec l’aspect de femmes de trente trois ans, comme si elles avaient été toutes enfantées le même jour ».
Deux phases composent ce hadith et renvoient au verset coranique calligraphié ci-dessus.
Dans la première partie du hadith : « Les vieilles femmes n’entreront pas au Paradis », il y a dépouillement par les larmes qui dans la crainte de Dieu [7] -Il fait ce qu’Il veut- fait naître un sentiment de peur (al-khawf) : peur d’une mauvaise fin liée à l’affliction de la séparation dans le désir ardent (al-chawq) de Sa Rencontre. Cette phase négative élimine l’infatuation et prépare à l’état d’humilité qu’exige la proximité divine. Ce dépouillement est nécessaire pour recevoir la richesse du Don ; les larmes sont alors transmuées en rire par la phase positive de la promesse.
La négation n’a de réalité que par l’affirmation. Selon l’apparence ces larmes ne sont que peine, alors qu’en vérité, elles sont un Don de Lui. Le grand Maître, Ibn Arabi, priait Dieu pour qu’Il lui octroie le don des larmes.
Les nuages déversent de l’eau
Sur le terrain fertile, [8 ]
Sur la branche frémissante
Qui vers Toi se balance.
***
« Parfois, afin de nous aider, Il nous fait pleurer. Heureux les yeux qui versent des larmes pour Lui. Heureux le cœur qui brûle à cause de Lui. Rire suit toujours les larmes. Bénis sont ceux qui comprennent. La vie éclot partout où les eaux fusent. Là où larmes sont versées, la miséricorde Divine est montée.. » (Rûmi)
- Une leçon de miséricorde et de générosité.
Anas (ra) rapporte : « Je marchais en compagnie du Prophète Muhammad (saws) qui était vêtu d’un manteau provenant de Nadjrân et bordé d’un galon rêche et épais. Un bédouin le rejoignit et le tira violemment par son manteau ; je vis alors l’épaule du Prophète Muhammad (saws) qui était égratignée par le bord de son manteau, tant le geste du bédouin avait été brutal. Ce dernier lui dit : » Muhammad, fais-moi don d’une partie des biens que Dieu a mis en ta possession. » Le Prophète Muhammad (saws) se tournant vers lui, se mit à rire et ordonna qu’on lui verse de l’argent.» [9]
Conformément à l’éthique traditionnelle, le patrimoine oral et littéraire islamique regorge de satires humoristiques, entraînant une salutaire remise en question pour les croyants ; des histoires-enseignement, des contes, abondent principalement dans la littérature soufie. Ces récits, tout à la fois subtils et légers mais rigoureux dans leur fondement, révèlent les détours de l’âme et permettent de l’éveiller à la dimension spirituelle. Certains vont droit au but :
Un homme en détresse pleurait à chaudes larmes. Devant ce triste spectacle, Abû Bakr Chibli (861-946) lui demanda :
– Mon pauvre ami, qu’est ce qui te met dans un tel état ?
– Je n’avais qu’un seul véritable ami, sanglote l’homme, et il vient de mourir.
– Malheureux ! s’exclama Chibli. Mais pourquoi donc as-tu choisi un ami susceptible de mourir ? (11)
Et, qui ne connaît pas Nasreddine, ce « fou » -puisque aux yeux des mondains la sagesse est folie- personnage central d’une série de récits humoristiques réputés pour leur sagesse cachée ? Quelques saveurs :
Un philosophe qui voulait discuter avait pris rendez-vous avec Nasreddine . Il se rendit chez lui et ne trouva personne. Furieux, il se saisit d’un morceau de craie et écrivit sur la porte de Nasreddine :
« Idiot stupide ».
Dès qu’il fut de retour et qu’il lut ces mots, le Mulla se précipita chez le philosophe:
« J’avais oublié », lui dit-il, « que vous deviez me rendre visite. Et je vous prie de m’excuser pour mon absence. Naturellement, je me suis tout de suite souvenue du rendez-vous quand j’ai vu que vous aviez laissé votre nom sur la porte. »
***
A l’époque où les ponts étaient encore rare sur le fleuve, Nasreddine travaillait comme passeur. Avec sa barque, il faisait traverser les gens d’une rive à l’autre contre quelques misérables piécettes.
Un jour, un grand savant, les bras chargés de livres, prit place dans la barque. Nasreddine, après lui avoir souhaité la bienvenue se mit à parler avec lui de choses et d’autres.
Le savant se rendit compte que Nasreddine ne maîtrisait pas bien la grammaire, et que sa façon de parler n’était pas très recherchée. Il lui demanda :
- Mon ami, n’es-tu jamais allé à l’école ?
- Non, lui répondit timidement Nasreddine en continuant de ramer.
- Alors, mon ami, sache que tu as perdu la moitié de ta vie.
Nasreddine quoique vexé, garda le silence. Lorsque la barque fut parvenue au milieu du fleuve, un courant rapide la renversa, et les deux hommes se retrouvèrent à l’eau, assez loin l’un de l’autre. Nasreddine vit le savant qui se débattait pour ne pas se noyer. Il lui cria:
- Est-ce que tu as appris à nager, maître ?
- Non, répondit le savant en continuant à se débattre.
- Alors, mon ami, tu as perdu ta vie toute entière ! (12)
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[1] ceux qui se moquent ne seront pas les bienheureux car comme le dit le Coran, VIII, 30 : Ils [les incroyants] se moquent mais, en matière de moquerie, Dieu est insurpassable ».
[2] D’après ‘Abdallah ben al-Hârith ben Jouz’ : » Je n’ai guère vu quelqu’un sourire plus que le Messager de Dieu – que Dieu lui accorde la grâce et la paix -. » (valide) Sourire est d’ailleurs recommandé : « Ne méprise aucune bonne action, ne serait-ce qu’en rencontrant ton frère avec un visage souriant. » (Muslim).
[3] Selon un hadith sahih, il a dit : » Ne riez pas trop, car le rire excessif tue le cœur. » Rapporté par Ibn Maajah, n°4193 ; Silsilah al-Sahihah, n°506. (le cœur, n’étant pas l’enveloppe sentimentale mais le centre spirituel)
[4] ‘Abdallah ben al-Hârith a dit: « Le Messager de Dieu – que Dieu lui accorde la grâce et la paix ne riait que par un sourire. » (valide) Un autre hadith fait mention de l’avoir vu rire jusqu’à voir ses molaires.
[6] Cité dans le Mousnad de Ahmad
[7] Selon un hadith : «Deux yeux ne seront pas touchés par l’enfer, l’œil qui a pleuré par crainte de Dieu, et l’œil qui a veillé pour Dieu…».
[8] Le terrain fertile (khamîla) est un jardin recouvert d’une végétation luxuriante (rawda), il se réfère au cœur de l’homme imprégné de connaissances divines [al-ma’ârif al-ilâhiyyah].
[9] Bukhâri et Muslim
[10] Récits tirés de l’ouvrage Rire avec Dieu (Albin Michel)
[11] « Sagesses et Malices de Nasreddine, le Fou qui était Sage »

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