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Le supplice de Mansour Al-Hallaj

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« Jusqu’à la fin du monde, les véritables saints sont les héritiers des prophètes. Ils possèdent la même lumière et la même âme. Ils appellent les créatures à Dieu, à l’instar des prophètes. Le chercheur de vérité procède de cette origine et de cette lumière. Il a la foi et se soumet et son état spirituel croit, grâce à l’âme des prophètes, comme l’oranger et le grenadier croissent grâce au printemps et progressivement deviennent plus vivaces et plus verdoyants
» (Sultan Valad)

Suite au premier volet consacré à l’ouvrage «Le mémorial des saints», on va se pencher sur le cas intéressant et controversé de Mansûr El-Hallaj, lequel est le dernier nom cité par Attar dans sa longue liste de saints (parmi lesquels, l’Imâm Abou Hanifah, l’Imâm Chaféi et l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal) qu’il serait fastidieux de traiter dans le détail.


Mansûr El-Hallaj (
244/857 – 309/922)

Originaire de Tûr (Iran), il part avec son père, cardeur (hallâj) à Wâsit sur le Tigre, ville en majorité sunnite et de rite hanbalite où il apprend le Coran par cœur méritant à 12 ans le titre de hâfiz.
A 20 ans,  il s’installe à Basra où il fonde un foyer avec Oum El Husayn, fille d’Abû Ya’qûb Aqta’ Basri. Mû par son désir irrésistible de la « Face de Dieu », il reçoit l’investiture (khirqa) de Omar ben Osmân Mekki et mènera alors une vie ascétique fervente et fraternelle, telle vécue à Médine par les membres de la Famille à l’exemple du Prophète (saws).

Sur le conseil de Junayd, il accomplit le pèlerinage à la Mecque où il demeure un an en état de jeûne et de silence à l’exemple de Mariam (que Dieu la salue), mère de jésus (que Dieu le salue) qui, selon le Coran, se prépara ainsi à la naissance de « Kun » [soit !] divin en elle. Cette retraite est le « vide » accumulateur de lumière : quand Dieu aime Son serviteur, Il le vide  de ce qui n’est pas Lui.

De retour à Basra, il commence ses prédications publiques ; usant de la terminologie de ses adversaires pour les réformer, elles seront très contestées même par ses paires. C’est alors qu’il s’en va les poursuivre en Khurâsân (l’Iran Oriental) séjournant dans les ribats et installant sa famille à Bagdad.
Il effectue deux autres pèlerinages à la Mecque, le premier l’emmènera à parcourir l’Indus (il rapportera avec lui le papier de Chine où seront copiées ses œuvres). Le deuxième, l’amènera à s’offrir en sacrifice. Conscient de ses débordements extatiques choquants pour la commune croyance, il dira :
« Dieu vous a rendu mon sang licite : tuez-moi… il n’est pas au monde pour les musulmans de devoir plus urgent que ma mise à mort… ». Le grand cadi de Bagdad, Muhammad Ibn Dâwûd, le dénonce à la cour : ce sera le début d’un procès qui durera neuf ans, au terme duquel il sera mis au gibet. Ainsi s’accomplit le martyr sur la voie de la Vérité de l’extatique Mansour.

Il faut comprendre que certaines vérités énoncées publiquement peuvent ébranler la foi et même égarer des personnes nullement préparées à les recevoir. Ainsi, il peut arriver qu’un saint  se laissent aller à des propos, lesquels incompris, apparaîtront « scandaleux ». C’est le cas de Hallaj qui a été crucifié pour « shirk » [association à Dieu], comme profanateur,  pour avoir clamé : « Je suis la Vérité ».
Effectivement, légalement et selon toute apparence, une telle affirmation individuelle est un blasphème. Tout ce qui est extériorisé étant passible de jugement, toute déclaration pouvant égarer les faibles est sanctionnée par la Loi (bien que Dieu la laisse échapper pour ceux qui comprennent). Les soufis eux-mêmes appuient une telle décision. Des initiés étaient parmi ses juges, lesquels ont vénérés sa mémoire. Le « coupable » accepte également le verdict et la sentence en toute conscience et se sacrifie par amour (il est rapporté qu’Hallaj avait accepté sa potence avec joie et qu’il souriait durant son exécution).

Depuis, nombreux théologiens ont reconnu la grand sainteté de Mansour El hallaj et expliquent que ses paroles n’étaient pas les siennes. De saintes éminences confirment  :

« Lorsque l’amour de Mansûr pour Dieu fut sans limites…Il dit : « Ana’l Haqq » (Je suis la Vérité), c’est-à-dire : Je suis anéanti, Dieu seul reste. C’est là une extrême humilité parce que ce cri signifie : « Lui Seul Est » […] C’est pourquoi Dieu a dit « Je suis La Vérité ». Etant donné qu’un autre que Lui n’existait pas et que Mansûr était anéanti, ces paroles étaient les paroles de Dieu »
« Est noyé dans l’eau celui à qui ne reste aucun mouvement ni action, mais dont les mouvements sont ceux de l’eau. » (1)  

« Pourquoi ne pas admettre que dans cette parole il ne soit pour rien, de telle sorte que ses paroles elles-mêmes soient les paroles de Dieu . Il en va ainsi pour le Coran qui est sorti du palais de la bouche, des lèvres, de la langue de Muhammad (le salut soit sur lui et sa famille), par la voix, les lettres et les sons ; pourtant, c’est la Parole de Dieu et non les paroles de Muhammad. Et quiconque dit que le Coran est la parole de Muhammad est un impie. » (2)


Alors qu’on traînait Mansour au supplice, Iblis lui demanda :
« D’où vient que toi, qui as fait acte de personnalité, Dieu t’a fait miséricorde, tandis que, moi, il m’a maudit  ?
-c’est parce que toi en faisant acte de personnalité, tu n’avais que toi-même en vue, tandis que moi, je n’avais en vue que le Seigneur très haut ! »

«Une nuit, en rêve, un soufi voit Pharaon en enfer et Mansour Al Hallaj très haut  au Paradis.
- Seigneur, demande le rêveur, éclaircis-moi ce paradoxe. Pharaon proclamait : « Je suis votre Dieu », et Hallaj : « Je suis la Vérité » Ne disaient-ils pas la même chose ?  Tous deux ne prétendaient-ils pas être Dieu ? Pourquoi une telle différence de traitement leur est-elle faite ?

-Pharaon tomba sous l’emprise de son ego, dit la Voix. En tout ce qu’il a vu, il n’a vu que lui-même. Ainsi M’a-t-il perdu. Tandis que Mansour, en tout ce qu’il a vu, n’a vu que Moi, et a perdu son ego. Voilà toute la différence entre eux. »(3)

Mansour réalisait l’Unité par un détachement arrivé à perfection, Dieu étant l’Unique, sans associé alors qu’Iblis et Pharaon à sa suite commettaient le shirk en associant à Dieu leur propre existence. (C’est pourquoi le plus grand  jihad est le combat contre l’ego auquel on accorde une illusoire indépendance).

Cependant, même au regard de la sainteté, énoncer certaines paroles est une faute et une carence. Tant qu’on est dans ce monde ci, on est tenu à l’astreinte légale. Le voile du Saint des Saints ne doit pas être levé, le Secret ne doit pas être divulgué ouvertement ; c’est pourquoi la sobriété apparente selon l’exemple du Prophète (saws) est la plus haute perfection : le saint parfait reste sobre en tous ses états, sauf si Dieu le veut autrement.

Chibli raconte en parlant de Mansour :
«. .. Mon Dieu, ton serviteur qui repose ici était fidèle et éclairé ! Pourquoi l’as-tu soumis à de si rudes épreuves ? Aussitôt le sommeil s’empara de moi et je m’endormis. Le Seigneur me dit en songe : Nous avons précipité Mansour dans les épreuves parce qu’il révélait notre secret à ceux qui n’étaient pas initiés »
(4)

_________________
(1) Rumî, Le livre du Dedans, p. 245
(2) Sultan Valad, Maître et disciple, p.52 Ce qui fait écho au hadith qûtsi rapporté par Abû Hurayra : «Mon serviteur ne s’approche de Moi par rien de plus excellent que ce que Je lui ai mis à charge comme œuvres obligatoires. Et mon serviteur ne cesse de s’approcher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime, et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il perçoit, sa main par laquelle il saisit, et son pied avec lequel il marche. S’il me demande, Je lui accorderai certainement ce qu’il demande, et s’il cherche refuge en Moi, Je lui accorderai certainement Ma protection
Le saint est celui en lequel ne subsiste aucune trace de fausse existence : ses actions sont Ses actions.
(3) p. 107 Rire avec Dieu chez Albin Michel
(4) Le mémorial des saints, p308

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