Biographie de Junayd
Son origine, sa formation
Junayd est né à Nihawand en Perse. Très jeune, orphelin de père, il est recueilli par son oncle maternel, l’éminent soufi Sarî Saqatî.
Comme en l’an 240/854 il était étudiant à la grande école de Bagdad, et qu’il avait une vingtaine d’années, on présume qu’il serait né en 215/830.
Il étudie le Coran, le hadith et le droit ; devenu un brillant juriste réputé pour son intelligence et son éloquence, il rend des sentences dans l’admiration de tous, et particulièrement de son maître Abû Thawr et de son ami Ibn Surayj, illustre savant châfi’ite qui ne manqua pas de s’en inspirer.
Suite à cette faste période, il réalise sa vocation spirituelle en devenant le disciple de son oncle et de Hârith Ibn Asad al-Muhâsibî, « Muhâsibî » signifiant littéralement « le comptable » selon le symbolisme traditionnel du commerce qui exige que l’homme doit chaque jour faire « le bilan » de ce qui a été positif ou négatif dans son comportement ainsi qu’évaluer ses « profits et pertes » (mâ lahu wa-mâ ‘alayhi).
On pourrait s’étonner qu’on puisse avoir plusieurs maîtres et pourtant la pratique était courante et s’explique par la multiplicité des « vertus spirituelles » portées par les différents maîtres. Sarî Saqatî, par exemple, faisait partie des « alh al-wara’ » [les hommes de la piété scrupuleuse] dont l’enseignement a été déterminant dans le comportement austère et ascétique de Junayd et sur sa doctrine « la connaissance de l’Unité ».
Plusieurs autres personnages sont d’ailleurs mentionnés comme ayant été ses maîtres, parmi ceux-ci : Abû Ja’far nommé al-Qassâb mentionné par Sulami, Abû’Alî al-Masûhî, compagnon de son oncle et maître de la plupart des disciples de Bagdad, Abû Hamza al-Bazzâz [« al-Bahdâdî »] disciple de Bichr Hâfi et de Saqatî. Versé dans l’exégèse et traditionniste, l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal le consultait quand il avait à parler du taçawwuf, Ahmad Ibn Wahb al-Zayyât avec lequel il s’entretenait particulièrement et encore Abû Bakr Ibn Muslim al-Qantarî , ascète notoire. Mais il importe toutefois de relever que parmi ces noms, ceux qui ont exercé le plus grand poids sur sa réalisation spirituelle restent Saqatî et Muhâsibî.
Sa spiritualité
« Dans cette route de la vie, il faut tenir de la main droite le Livre que nous a envoyé le Seigneur et de la main gauche les préceptes traditionnels du Prophète attendu que celui qui marche à la lumière de ces deux lampes ne s’écartera jamais du bon chemin. »
«Cette science qui est nôtre est subordonnée au Livre et à la sunna ; et quiconque n’a pas appris le Coran, n’a pas transcrit la Tradition (hadith) et n’a pas étudié la Loi, ne saurait servir d’exemple.»
Ainsi parlait et oeuvrait Junayd, veillant ainsi à préserver l’équilibre entre l’aspect extérieur et intérieur de l’Islam. C’est pourquoi, il a été agréé par tous les juristes. Même le sévère hanbalite Ibn al-Jawzî, qui n’épargnait généralement pas ses critiques l’a approuvé et honoré de la vertu de « rigueur » (jidd)
Il faut dire que Junayd pratiquait une dure ascèse composée d’exercices de dévotion intense qu’il poursuivit même en grand état de faiblesse, et ce, jusqu’à sa mort.
Il montrait ainsi l’exemple de la règle de vie à appliquer (usûl) :
-Jeûner pendant le jour (et il considérait le jeûne comme « la moitié de la foi »
- rester debout (pour prier) pendant la nuit,
- agir avec une sincérité totale (ikhlâs),
-contrôler ses œuvres par une constante vigilance,
-et s’en remettre à Dieu avec confiance (tawakhul) en toute circonstance.
Il dira : « Nous n’avons pas tiré la science du taçsawwuf des on-dit, mais de la faim, de l’abandon de ce bas monde, et de la rupture avec les réalités familière et agréables. Le taçawwuf est en effet la pureté de la conduite envers Dieu, elle-même basée sur le détachement du monde selon la parole de Hâritha : « j’ai détaché mon âme de ce monde, veillant la nuit et assoiffé pendant le jour ».
Sa voie
Les principes de la voie spirituelle de Junayd se fonde sur la pureté constante au moyen des ablutions, sur le jeûne, le silence, la retraite, l’invocation continuelle de Dieu et surtout une observation de la vigilance intérieure ; il disait : « j’ai appris l’art de la vigilance en observant une chatte [qui guettait la souris] ». En effet, la caractéristique de sa voie était le « contrôle de l’état spirituel » ou « vigilance intérieure » [murâqabat al-bâtin]. Il eut de nombreux disciples dont le célèbre Al-Hallaj qui malgré la précellence de son maître pour la lucidité « sahw » conséquente de ce contrôle, restera dans l’ivresse (sukr), ce qui le conduira au gibet.
Ses charismes
Junayd fut gratifié de charismes (karâmât)
- la « firâsa » qui s’appuie sur ce hadith « Prenez garde à l’intuition du croyant, car il regarde avec la lumière de Dieu » et qui constituait l’isnâd [chaîne de garant] personnel de Junayd correspondant au don particulier qu’il avait reçu. Il sondait les cœurs et savait ce qui s’était passé et se passait pour chacun de ses disciples, dans les détails, avant même qu’ils n’en parlent.
- la « ru’yâ fî-l-manâm » [vision en songe]. Il eut la vision d’Adam, des anges le rassurant sur sa parfaite sincérité de son enseignement, de celle du Prophète le poussant à instruire les musulmans et l’approuvant sur les réunions nocturnes consacrées au « samâ’ » [audition spirituelle], à la condition de les commencer et de les terminer par la récitation du Coran. Il vit aussi Iblis en état de veille dont voici l’anecdote :
« Junayd, terrorisé lui dit :
« Maudit ! Qu’est-ce donc qui t’a empêché de te prosterner devant Adam ? (Coran II, 34)
O Junayd ! comment peux-tu imaginer que je me serais prosterné devant un autre que Dieu ! »
Junayd confondu par cette réponse s’entendit souffler : « Dis-lui : tu mens ; si tu avais été un serviteur obéissant, tu n’aurais pas transgressé Son ordre ! »
Iblis entendit la voix à l’intérieur de mon cœur, il poussa un cri : « Par dieu, tu m’as brûlé ! » et il disparut.
Les traces de son œuvre et sa doctrine
Son enseignement a été recueilli par ses disciples puis diffusées par Sarrâj, Kalâbâdhi, Abû Tâlib Makki, Sulami, Abû Nu’aym et Quchayrî, essentiellement sous forme de sentences, de définitions et de belles oraisons. Quchayrî, quant à lui, a rapporté 200 sentences. Un enseignement plus ésotérique et confidentiel se trouve sous forme de lettres et de traités.
La doctrine de Junayd est basé sur la connaissance de l’Unicité (tawhîd), laquelle est le but et la finalité de toute vie spirituelle véritable, réservée à ceux que « Dieu s’est choisis pour lui-même » ; elle ne pourra se réaliser que par leur « extinction à eux-mêmes » dans le « retour » à ce qui était leur situation lors du Pacte intemporel(Coran VII, 172) ; cette pérennisation (baqâ’) de l’origine exige un travail profond de purification qui s’avère être une terrible « Epreuve ». Cette épreuve ne signifie pas forcément des malheurs mais implique le « grand djihad, » c’est-à-dire la lutte entre le « moi » (nafs) qui tient à subsister et ne veut pas lâcher prise et les forces spirituelles qui doivent triompher. Et cette victoire ne peut se gagner sans « rompre les liens avec ce que l’on aime, sans laisser de côté ce que l’on sait et ce que l’on ignore » jusqu’à ce que « l’Être divin tienne alors lieu de tout ». Son « traité du fanâ’ » qui constitue le récit de son expérience se trouve être un témoignage précieux à cet égard.
Si la voie soutient une vocation spirituelle véritable, elle peut aussi être un piège qui se referme sur l’âme quand le moi s’enfle au lieu de s’amoindrir. On prend alors pour quête de Dieu, ce qui n’est que la recherche de l’ego, pour une réalisation spirituelle ce qui n’est qu’une illusion du psychisme. C’est une « maladie » bien connu des maîtres et deux traités de Junayd s’intitulent « Remède » (dawâ’) et se réfère au Prophète, médecin des âmes par excellence.
« Sache que tu es voilé à toi-même par toi-même, et que tu ne parviendras pas à Lui par toi-même, mais que c’est par Lui-même que tu pourras L’atteindre ! » énonce-t-il salutairement..
Et il donnera cette définition du Taçawwuf :
« Le tacawwuf, c’est que l’Etre divin te fasse mourir à toi-même et qu’Il te fasse vivre en Lui »
Sa fin de vie et conclusion
Junayd meurt à Bagdad en 298 H. /910 (ou 911) en lisant le Coran. Aimés de tous, soixante mille personnes assisteront à sa mise en terre aux côtés de Sarî Saqatî, au cimetière de la chûnîziyya.
La sainteté éminente de Junayd fut reconnue par tous, même parmi les doctes censeurs. Par la force convaincante de sa connaissance octroyée par Dieu, Sayyid al-Tâ’ifa, de l’accord unanime des musulmans, le nommera :
« Le Seigneur de la Tribu spirituelle ».
Quand Abû Tâlib Makkî dit : « Depuis l’an 300, il n’est plus permis de parler de cette Science qui est la nôtre » et que cette date correspond à celle de la mort de Junayd, il est clair qu’il est perçu comme le plus beau représentant de la spiritualité de l’Age d’Or qu’on fait remonter au Prophète (saws).
L’héritage spirituel de Junayd s’est transmis par les « chaînes initiatiques « silsila » remontant au Prophète (saws) [1] et la plupart de ces chaînes passent par lui. Sa méthode spirituelle reste non seulement un modèle majeur du soufisme mais une source d’inspiration ; par exemple, au Maroc, la doctrine religieuse s’y réfère officiellement.
A lire : Sentences de Junayd
http://aminour.unblog.fr/2007/01/12/sentences-de-junayd
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[1] voir p. 28 les chaînes initiatiques « enseignement spirituel » traduits de textes arabes par Roger Deladrière chez Sindbad.
Biographie réalisée après étude de l’ouvrage « enseignement spirituel » traduits de textes arabes par Roger Deladrière chez Sindbad et d’autres sources mineures. (couverture du livre ci-dessous)
