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La résistance afghane et le combat inspiré de Massoud

panshir

Vallée du Panjshir en Afghanistan

La résistance afghane

Malgré un patchwork ethnique, des orientations politiques et religieuses diverses, et mis à part une minorité collaborant avec le régime pro-soviétique de Kaboul, l’Islam a été le fer de lance du combat des Afghans et de leur résistance à l’envahisseur soviétique, première puissance antireligieuse du monde. Ils n’ont pas lutté pour une idéologie, « ni même pour leur patrie conçue comme une notion terrestre, mais, comme ils le disent volontiers, surtout parmi les troupes groupées sous l’autorité du célèbre commandant Massoud, pour al-Haqq, c’est-à-dire pour Dieu en tant que Vérité suprême et dispensateur de justice, objectif qui dépasse infiniment ce bas-monde, véritable jihad.

Le combat inspiré de Massoud massoud1.jpg

Si les observateurs reconnaissent que le commandant Ahmad Shah Massoud était un fervent croyant scrupuleux des devoirs religieux incombant à tout musulman, il leur échappe généralement qu’il était rattaché à la Voie [Tariqa] Naqshbandi , branche du Taçawwuf, et que c’est là, au coeur de la spiritualité islamique qu’il a trouvé la légitimité, l’impulsion et la force de son combat, comme cela l’a toujours été dans la résistance afghane. [1]

Ses actes n’ont jamais démenti son orientation intérieure. On brosse de lui le portrait d’un « moine-soldat entièrement voué à l’effort (jahd) exigé par la lutte contre l’oppresseur et parfaitement soumis à la Volonté divine ».
Tous ceux qui l’ont approchés ont été impressionnés et comme irradiés par son rayonnement personnel, sa douceur et son calme. Son mode de vie ascétique et son comportement intègre et irréprochable en ont toujours imposé à son entourage et à ses troupes et l’ont fait aimer de tous.

Rashid amin,
coreligionnaire et compatriote ayant séjourné auprès de lui, rapporte :
« Sa piété n’en fait pas un homme triste ainsi qu’en témoigne le titre du livre dont il ne se sépare pas plus que de son Coran, de son arme et de son petit récepteur de radio, l’Alchimie du bonheur, le célèbre traité de l’imam Ghazâli où est soulignée la nécessité des œuvres en plus de la connaissance et de la foi.
Le soir, dans un campement de montagne, une maison de village ou une grotte, entouré de ses compagnons d’armes, il en lit souvent des passages à haute voix, les faisant alterner avec ceux d’autres traités soufiques ou parfois, du Mathnawi de Rûmi dont les vers inspirés font vibrer les cœurs des ces Afghans de culture persane.
Lui-même presque constamment en état de pureté rituelle, Massoud insiste pour que les moudjahidine, dont chacun porte un Coran sur soi, observent l’usage traditionnel consistant à faire l’ablution (wudhu) ainsi qu’une prière de deux rak’a (inclinaisons) avant de partir au combat. Pendant l’action et suivant l’exemple du Prophète et des premiers combattants de l’Islam, ils diront les prières intérieurement aux heures prescrites, sans accomplir les gestes rituels ni tenir compte de la qibla lorsqu’ils font face à l’ennemi. En période de Ramadan, tout le monde observe strictement le jeûne, mais les soldats de première ligne en sont dispensés, ce qui est également conforme à la tradition. A l’arrière, pendant les nuits du mois sacré, on visite des pirs (maîtres) s’il y en a dans la région, on scande des qaçaids (poèmes spirituels) et on pratique le dhikr (remémoration de Dieu) sous la forme d’invocations comme celle-ci, courante chez les Naqshbandis : « yâ Hayy, yâ Qayyûm » (O Vivant, O Subsistant éternel !) ou de la répétition rythmée de la Shahâda, la profession de foi : « Lâ ilâha illa’LLâh. [Il n’y a de dieu que Dieu] ….. », invocation que le Sceau des Envoyés (salallahu’ alayhi wa salam) a déterminé comme l’action la plus élevée, celle qui a le plus de valeur.

La victoire

On dit souvent, à tout propos, que la foi soulève des montagnes… le combat de Massoud qui est celui « de la foi contre le pouvoir de la masse, de la lourdeur humaine et de la vie technique issue d’une civilisation matérialiste et athée » en est un vivant témoignage et donne tout son sens à l’expression.
Car c’est bien en s’appuyant uniquement sur Dieu, -et il n’y a de force et de puissance qu’en Lui-, que Massoud et ses moudjahidine ont pu soutenir et poursuivre un combat à première vue -vue humaine- sans espoir si l’on considère la pointure de l’adversaire ! Réaliser de telles prouesses militaires avec des moyens aussi faibles face à l’acharnement d’un ennemi disposant d’une armada aussi énorme tient du miracle. Cet écart de moyens n’a jamais pu affaiblir la détermination de ces combattants pour la Vérité (al-Haq), persuadés de la victoire quoi qu’il arrive ; la mort des assoiffés de Justice, de Liberté et de Paix, n’est point la mort mais la Vie !
« Non ! Ils sont vivants, mais vous n’en êtes pas conscients » (Coran II, 154)
« Ne crois surtout pas que ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu sont morts. Ils sont vivants ! » (Coran III, 169)

La Paix et l’écume

« Chez ces hommes qui font la guerre, rapporte encore Rashid Amin, les âmes semblent en paix ; chacun sait ce qu’on attend de lui et accomplit sa tâche exactement, sans précipitation. On parle peu et on agit avec une sorte de recueillement, de concentration. Le contraste est grand avec les activistes dits « islamistes » qui ne cessent de discourir, de s’agiter et de comploter à travers le monde ».
Cet islam moderniste et révolutionnaire étranger à l’âme afghane a été la principale cause des rivalités au sein de la Résistance laquelle a toujours été imprégnée de spiritualité, c’est-à-dire de l’Islam traditionnel -dans sa réalisation intégrale- et c’est toujours là que fut le moteur de sa cohésion et la préservation de son identité. [2]
En réalité il n’y a très probablement aujourd’hui aucune autre région de la terre que ces montagnes toujours libres de l’Afghanistan où des collectivités humaines vivent l’Islam aussi intensément, aussi intégralement. »

Wallâhu A’lam.

Les phrases en italiques sont extraites du chapitre VII de l’ouvrage « L’islam entre tradition et révolution » de Roger du Pasquier paru aux Editions Tougui, 1987.
[1] « Le taçawwuf a toujours été au cours des siècles une véritable armature de l’Islam afghan », Opus cité.
[2] C’est toujours par sa spiritualité que l’Islam a pu prendre racine et se maintenir aussi bien dans les cœurs que dans le monde. Et le monde subsistera tant qu’il y aura des cœurs pour dire : « Allah, Allah »

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Rappel biographique

Surnommé « le Lion du Panchir », le commandant Ahmad Shah Massoud qui a passé une partie de son enfance à Kaboul,est né le 9 janvier 1953 à Bazarak, petite localité de la vallée du Panjshir en Afghanistan.

Il a été parmi les premiers opposants au régime pro-soviétique de Mohammad Daoud dit « prince rouge ». Il a été également parmi les premiers réfugiés politiques au Pakistan qui retournèrent au pays en juillet 1975, pour diriger la rébellion du peuple afghan contre le régime communiste du Tandem Taraki-Amin.

En 1978, dans la province de Kunar, il fut un des premiers à prendre les armes contre les communistes.

En 1979, il rejoint le Panjshir où il se débarrasse des groupes maoïstes. Il était donc déjà au maquis, dans sa vallée natale, lorsque l’Armée rouge envahit l’Afghanistan fin 1979. Avec ses moujahidin, il l’a repousse à sept reprises ; Les troupes soviétiques finiront par céder et se retireront en 1989.

Son combat se poursuit contre les talibans qui ont pris Kaboul en 1996.

Le 9 septembre 2001, il est tué dans un attentat suicide à Khwadja Bahauddin, dans la province de Takhar au nord-est de l’Afghanistan. Les assassins, deux Tunisiens Dahmane Abd el-Sattar et Rachid Bouraoui ; ils l’ont approché en se faisant passer pour des journalistes munis de faux passeports belges. On ne connaît pas avec exactitude les dessous de cet assassinat.

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Témoignage

Récit du Commandant:

« En 1979, nous étions 700 à nous être soulevés dans le Panjshir. Les combats étaient âpres et durs, les pertes terribles. Nous allions de défaites en défaites, et nous n’avions rien à manger. Pendant quelques semaines, il n’est plus resté qu’une vingtaine d’hommes en armes, acculés au bout de la vallée. Nous nous sommes alors réunis et avons solennellement promis de nous battre jusqu’au dernier souffle.
Faire la promesse était facile, encore fallait-il trouver à manger ! Un vieillard nous a donné une vache, un autre une casserole, le dernier du riz. Malgré cela nous avons perdu et dû fuir. J’étais blessé et j’avais besoin d’une canne. Il y avait beaucoup de neige. Nous avons marché jusqu’à la tombée de la nuit, sans nous retourner. Nous avons dormi dans une cabane. Au petit matin, une dame est venue. Nous avions peur qu’elle nous dénonce, mais elle n’aimait pas les Russes et nous a aidés. Nous, nous ne pouvions même pas la payer. Je lui ai laissé une reconnaissance de dette. Et nous avons continué. Quand nous sommes revenus dans le Panjshir, nous n’étions que 60, et finalement, nous avons repoussé les Russes jusqu’au bout de la vallée ».

Massoud se muait en résistant prenant une part active à une guerre de libération de dix ans. En 1983, l’Armée rouge, après avoir lancé, en vain, six offensives contre la vallée, se trouvait acculée à conclure une trêve avec le « Lion du Panchir ».

Outre son génie militaire, Massoud fit preuve d’aptitudes pour l’organisation. Ainsi, les soviétiques préparaient, pour avril 1984, une offensive d’envergure sur le Panjshir. Massoud averti de l’imminence des bombardements par ses espions, ordonne l’évacuation des villageois vivant à l’entrée et dans la partie basse de la vallée, les sauvant du carnage annoncé. Il organise le 20 avril, le repli de ses 5 000 combattants dans les montagnes ou les vallées avoisinantes. Au même moment la vallée est soumise à un terrible bombardement aérien, puis une offensive terrestre dans laquelle les soviétiques engagent 20 000 soldats, dont 5 000 Afghans. Il n’y aura pas de victimes civiles, mais tout aura été détruit: maisons, canaux d’irrigation, arbres… Ce que les bombes lâchées par les avions n’ont pas anéanti, les commandos dépêchés sur place après quinze jours de frappes venues du ciel achèveront le travail au lance-flammes et à l’explosif. Jusqu’au 7 mai, les soviétiques et l’armée afghane essaient de prendre au piège les hommes du commandant Massoud en progressant dans les vallées voisines. Ne parvenant pas à leurs fins, ils abandonnent. Les Mojâhidin tiennent alors en échec la plus puissante armée du monde.

Celui qui est devenu une légende vivante de la guerre d’Afghanistan, se révélait aussi un administrateur de taille. Il a réussi en effet à transformer la vallée et les provinces voisines en un Etat de droit Islamique, ayant comme capitale Talokhan.

A partir de 1983-1984, Ahmad Shah Massoud porte la guerre en dehors du Panjsher. Les mojâhidin attaquèrent et prirent le camp de Pechgur. Quelques semaines après cette démonstration, les Soviétiques lancèrent des représailles.
En 1986 Massoud remporta des victoires probantes à Farkhar (province de Takhar) et Nahrin (province de Baghlan). Dès 1990 il étendit son influence aux provinces de Badakhshan, Kunduz, Takhar, Baghlan, Balkh et Samangan. Il devient Ministre de la Défense. Le 26 avril 1990, il remporta la première bataille de Kaboul, puis renversa le régime communiste de Nadjibullah. Il cède la place à Rabbani. (*) Mais en août 1992, Gulbuldin Hekmatyar lança une offensive sur la capitale.
Et le 9 décembre, Dostom bombarda le Ministère de la Défense. Le 19 janvier, Massoud entreprit de repousser le Hezb-i-Islami hors de la capitale. Début novembre 1993, pour contrer Dostom, il décida d’attaquer le port fluvial de Sher Khan Bandar (province de Kunduz).
En 1994, Gulbuldin Hekmatyar se rangea aux côtés de Dostom. Dans le chaos Rabbani démissione, et c’est l’arrivée au printemps des taliban.
Entre le 6 et le 14 mars 1995 Massoud parvint à éliminer le Hezb-i-Wahdat de la capitale, et à repousser les Taliban à une vingtaine de kilomètres.
Kaboul est pillée et quasi détruite. Après avoir conquis Hérat en septembre 1995, les Taliban se focalisèrent sur la capitale. Sous les tirs de roquettes, Massoud tint près d’un an avant de donner l’ordre de quitter la ville qui fut prise par les Taliban le 26 septembre 1996. Dès lors, il fut le seul à ne jamais céder dans son opposition à leur régime de terreur.

Massoud a démontré qu’il était un stratège hors pair. Il fit face aux soviétiques puis au soutien par les pakistanais de l’ennemi Hekmatyar et enfin aux talibans. Au milieu des requins assoiffés de pouvoir et dont les ambitions et les moyens étaient renforcés par des soutiens étrangers, Massoud a prouvé son immense valeur.

Source : Christophe De Ponfilly (**) sur http://www.afghana.org/

(*) Le professeur Burhanuddin Rabbani présidant le Jamiat-i Islami a su de faire accepter de groupes de tendances variées et même parfois divergentes ; il réunit en lui aussi bien l’aspect spirituel de l’Islam par son rattachement à la Naqshbandiyya que l’aspect extérieur en tant que détenteur d’un diplôme d’Al-Azhar, la grande université islamique, ce qui assure sa crédibilité aux yeux de la communauté musulmane dont il connaît bien les ressorts et les remous. La Jamiat constituera la plus importante composante de la Résistance afghane et dont, sur le terrain, les succès du commandant Massoud, le plus prestigieux de ses chefs militaires, qui en est membre, sont encore venus consolider la position.

(**) Christophe de Ponfilly breveon72.jpgfut l’un des premiers à s’être rendu auprès de la Résistance Afghane après l’invasion soviétique.
Dés 1981, il tourna« Une vallée contre un Empire », super 8 relatant les premiers exploits du jeune Commandant Massoud dans la célèbre vallée du Panchir. Ce sera la début d’une relation sincère qui durera jusqu’à la mort de ce dernier en septembre 2001.
Il avait, à sa manière, participé aux combats du chef en filmant ses exploits et en les diffusant auprès des médias occidentaux. Ils s’appréciaient mutuellement pour ce qu’ils étaient : quel était ce fou qui venait se perdre dans cette petite vallée retranchée au cœur de l’Asie Centrale, quel était cet homme de guerre qui osait se rebeller contre un Empire et que toute une population adulait. Pendant 20 ans leurs destins n’ont cessé de se croiser… L’ironie du sort a voulu que ce soit une caméra qui fut utilisée pour tuer Ahmed Shah Massoud, comble de l’horreur pour ce journaliste qui déclarait récemment qu’ « une caméra est plus efficace qu’une Kalachnikov ». [...]
Tous ses reportages étaient marqués par cet intérêt pour les habitants de cette région ; gros plans, sourire timide d’une petite fille au coin d’une maison, éclat de rire d’un groupe de moudjahiddin…..ou Massoud récitant un poème alors qu’une opération de grande envergure se prépare. Nous n’oublierons pas non plus cette voix qui accompagnait bon nombre de ces documentaires, monocorde mais qui ne cachait guère l’émotion de celui qui avait vu, vécu les horreurs de 20 années de guerre…

Extrait remanié, Source : http://www.elkalam.com/dossiers/dossiers.php?val=156_hommage+christophe+ponfilly

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