L’âge sombre

Les Traditions affirment la multiplicité des périodes cycliques et des humanités correspondantes. Ce qui n’est pas sans lien avec les « sept terres » évoquées dans le Coran.
La théorie des cycles est d’une très grande complexité ; on s’en tiendra donc à un exposé schématique qui néanmoins permettra peut-être de mieux situer le désordre de notre monde moderne.

Les textes sacrés de l’Inde divisent un cycle humain [Manvantara] en quatre âges principaux :
- Krita-Yuga pour l’âge d’or
- Treta-Yuga pour l’âge d’argent ;
- Dwapara-Yuga pour l’âge d’airain
- Kali-Yuga pour l’âge de fer ou âge sombre qui est précisément celui où nous nous situons, et même, toujours selon les données traditionnelles, à un stade très avancé.

Les trois premiers termes correspondent étymologiquement à des nombres : quatre (pour Krita), trois (pour Trêta) et deux (pour Dwapara), tandis que le dernier terme « Kali », signifie sombre, obscur, d’où l’expression Kali-Yuga ou « âge sombre. »
De même que ces nombres décroissants marque le raccourcissement de chaque âge par rapport au précédent, passer de l’or au fer exprime une dégradation successive, celle-ci étant représentée sous forme d’un Bovin qui se tient sur quatre pieds pendant le premier âge, sur trois dans le second, sur deux dans le troisième et sur un seul dans l’âge de fer où le déséquilibre arrive alors à son maximum jusqu’à ce qu’enfin, après avoir perdu le dernier pied- cataclysme final-, un « retournement » marque le début d’un autre cycle où il recouvre ses quatre pieds.

Dans l’âge d’or –âge Krita- la tendance ascendante (satwa) prédomine et est symbolisée par la lumière de la connaissance. Précisément, parmi les métaux, c’est l’or qui correspond au Soleil et à la lumière spirituelle. C’est le règne qualitatif de l’état primordial où l’intelligence et les sens participent de la Bonté. La vie s’écoule lentement et paisiblement dans la Présence divine (d’où la longévité proverbiale des premiers hommes ; selon la tradition islamique, Adam aurait vécu 960 ans.)

Dans l’âge d’argent  -âge Treta-, une tendance expansive (rajas) prédomine et est symbolisée par la lumière reflétée de la connaissance, et c’est bien l’argent qui correspond à la lumière blanche de la lune qui n’est que le reflet du soleil. C’est encore une période de noblesse où cependant les désirs –avec la notion de devoir ou d’intérêt- apparaissent.

Dans l’âge d’airain -âge Dwapara- la tendance descendante (tamas) prédomine et est symbolisée par l’obscurité, et il est vrai que l’airain est un métal en perte de luminosité. La passion (Rajas) domine et les maux telles que la cupidité, l’orgueil, et l’envie se mêlent à quelque noblesse.

Dans l’âge de fer –âge kali-, la tendance descendante est accélérée et symbolisée par les ténèbres de l’ignorance et effectivement, parmi les métaux le fer est noir et susceptible d’être rongé par la rouille. Si l’airain est adapté pour la guerre et le meurtre, le fer l’est encore plus et ne peut que correspondre à une période particulièrement sanglante, assortie de troubles et de désordres généralisés, de duperie, de mensonges, de passivité, de peur, de tristesse et d’angoisse. C’est le Règne de l’extériorité où tout est réduit au point de vue quantitatif, où les valeurs sont inversées et où tout va de plus en plus vite tel un lourd boulet qui partant du point le plus haut tend vers le bas avec une vitesse croissante jusqu’à son point d’arrêt. Ce n’est pas sans raison qu’un proverbe arabe énonce : « La lenteur vient de Dieu, la vitesse du diable. » ; ce n’est pas non plus sans raison que la force matérielle appartient à l’Occident, terme dont la signification est soleil couchant  c’est-à-dire le point où il arrive à l’extrémité de sa course diurne.

Il faut préciser que chaque âge est lui-même subdivisé en périodes secondaires qui reproduisent à leur échelle la marche d’un cycle complet, que chaque redressement traditionnel -par Révélation- est un âge d’or faisant contre-courant au processus descendant, deux tendances opposées qui permettent de maintenir un certain équilibre ou comme l’expiration et l’inspiration, une certaine respiration. C’est ainsi que le Prophète Muhammad (saws) a dit dans cette dernière phase de notre âge de fer : « Les meilleurs des gens sont ceux de ma génération, puis ceux qui les suivent, puis ceux qui les suivent» laissant entendre que cette époque bénie est suivie d’un inéluctable dégénérescence qui constitue véritablement une «descente» [éloignement graduel du Principe] et c’est là le sens réel de la «chute» ou de la « descente » d’Adam et de la Direction qui sauve.(Coran II, 38)  Il n’est pas anodin que le Coran, ultime révélation, est nommé « Rappel » et « donneur d’alarme ».

Durant l’âge d’or de l’Eternel printemps, les êtres vont spontanément à Dieu, ils sont leur propre loi selon la volonté divine et s’adonnent à ce que le Coran appelle le culte pur originel et immuable de la nature primordiale (Fitrah).
« Dresse ta face pour le Culte dû, en hanîf (théotrope = celui qui se tourne spontanément vers Dieu), en fonction de la forme originelle [fitrah] de Dieu selon laquelle Il a différencié les humains. Point de changement à l’Acte créateur de Dieu. Tel est le Culte immuable. » (Coran XXX, 30 et XXXIX, 2)
Mais plus l’obscurité s’étend, plus on s’en éloigne et plus l’oubli s’installe ; c’est alors Dieu qui attire à Lui en rappelant cette vérité immuable. C’est ainsi que la spiritualité des diverses formes traditionnelles dont les révélations, comme le Judaïsme, le Christianisme ou l’Islam par exemple, s’enveloppe d’une forme religieuse. Plus on s’enfonce dans le temps, plus l’aspect formel -religieux- prend de l’importance pour le salut des gens de la plus commune croyance et du plus grand nombre (Coran, LVI, 40), de sorte que les vérités autrefois accessibles à tous les hommes se voilent et prennent l’aspect d’un Trésor caché – symbolisé par le cœur et matérialisé par la pierre noire de la Kaaba en Islam-  et deviennent alors seulement accessibles à une minorité «les rapprochés -les élus-» :« petit nombre parmi les Derniers ». (Coran, LVI, 14)

« Par l’époque ! En vérité, l’homme est en perdition, à l’exception de ceux qui ont la foi, qui pratiquent les œuvres vertueuses, qui se conseillent mutuellement la vérité et qui s’exhortent mutuellement à la patience » (Coran CIII)

 

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Conseil de lecture : « le règne de la quantité et les signes des temps  » et « Formes traditionnelles et cycles cosmiques  » chez Gallimard de René Guenon.

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