Les fruits

Si le monde a quelque réalité, c’est en tant que Manifestation divine. Par cette Omniprésence tout en cet univers est « signe » à qui peut voir, c’est-à-dire un symbole -une expression- qui nous reconduit à la Vérité. (1)
Les jardins, les arbres, les fleurs, les fruits sont autant d’images qui nous renvoient à leur fondement spirituel.

« …Nous faisons croître des jardins plantés de vignes, d’oliviers et de grenadiers, semblables ou différents les uns des autres. Regardez leurs fruits lorsqu’ils fructifient et qu’ils mûrissent. Certes, il y a là des signes pour ceux qui ont la foi ! » (2)

La Grenade, fruit paradisiaque

D’une manière ou d’une autre, privilégiant tel point de vue ou tel autre, la grenade est un fruit présent dans toutes les Traditions. (3)
L’Islam le rattache directement à sa réalité céleste : le fruit du grenadier paradisiaque dont chaque grain féconde une grenade de notre monde, laquelle est également fécondée par une goutte d’eau du Paradis ; fruit excellemment béni puisqu’il est dit aussi qu’un grain de grenade du paradis se trouve dans chacune de nos grenades (4) … symbolisme de l’arbre, de la semence et de l’eau de Vie. C’est par cette Vie que sont vivifiés et fécondés tous les éléments de ce bas-monde. Sans baraka (bénédiction céleste), toute chose serait morte et stérile. (5)

La grenade est ronde : forme globale, parfaite (6) qui symbolise l’Unité primordiale, laquelle contient la multiplicité exprimée par la multitude de grains. Ceux-ci -chacun étant unique- sont cloisonnés par des alvéoles soudées les unes aux autres ne formant ainsi -malgré des ensembles distincts- qu’un tout bien ordonné selon un ordre Universel. C’est l’intégration de la multiplicité dans l’unité.

Elle est surplombée d’un calice qui détermine son axe, centre d’équilibre. Ce calice - réceptacle des bénédictions célestes [Barakah]-, par sa place sur-éminente et sa forme de couronne rappelle à l’élévation, à la Transcendance divine, à Sa souveraineté absolue sur les mondes.

Les grains pulpeux et juteux dissimulés par l’écorce -dure et amère- symbolisent aussi les trésors cachés à la multitude, ainsi que les profanes -tournés vers les choses extérieures- ne peuvent appréhender les mystères. En effet, les grains -l’intérieur- sont occultés par l’écorce -l’extérieur- ; pour les connaître et les savourer, il faut la pénétrer, non sans épreuves : « Ne vois-tu pas que la succulence de ces grains est enfermée sous une écorce amère ? Voudrais-tu savourer la connaissance sans avoir goûté à l’amertume du combat !? »

Par ailleurs, chaque pulpe enchâsse et protège une graine (pépin) de forme triangulaire -shéma géométrique du coeur-, qui est un concentré de nutriments indispensables à la croissance des fruits et dont on extrait l’huile. La graine est la réalité de chaque chose, le germe qui fait pousser l’arbre et le fait fructifier. Mais si le germe contient toutes choses, dans notre monde, il est contenu dans toutes choses : il est le cœur des choses.

’Un poète persan déclame :
“J’ai ouvert une grenade et suis en train de détacher ses amas de graines juteuses
Ce serait une bonne chose, me dis-je
Si les graines étaient visibles aussi dans le cœur des gens. (7)

Les hommes sont comme les grains de grenade, divers par leurs aspect mais un par leur coeur qui est le centre où se révèle le secret (as-sirr) de la Présence divine une et indivisible.
“Nul ne peut Me contenir, le coeur de Mon serviteur fidèle Me contient” (8)

« Tout comme les semences dans leurs balles, [Wa Al-Ĥabbu Dhū Al-`Aşfi], le germe enveloppé dans le fruit, la semence (habb) qui s’enracine (9) dans le coeur est l’Amour (mahabba), le mot “habb” étant contenu dans “mahabba”.

Par cette évocation, on en vient à parler de la couleur rouge de la grenade, couleur du flamboiement, mystère de la mort et de la renaissance, expression de l’Amour divin sanctificateur qui embrase, purifie, illumine, féconde, transfigure et donne Vie. C’est en réciprocité, l’aspiration de l’amant pour l’Aimé dont l’ardeur consume tout ce qui n’est pas Lui.

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(1) « Dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a vraiment des signes pour les doués de moëlle«  (Coran 3, 190) “ Nous allons leur montrer aux horizons et en eux-mêmes jusqu’à ce qu’il leur apparaisse clairement que c’est la vérité” (Coran 41, 53)
(2) Coran, 6, 99.
(3) Pour prendre un exemple saillant, on relève que dans la  Grèce antique (ville de Lunone) une statue  tenait en main une grenade sur laquelle était inscrit :« La signification de la grenade est un secret sacré, dont on ne peut parler ici ».
Pour autre exemple, St Jean de la Croix puisant dans la Tradition chrétienne évoque bellement cette sacralité : « Les grenades représentent les plus hauts mystères de Dieu, ses plus profonds jugements et ses plus sublimes grandeurs. Les grains de la grenade sont le symbole des effets innombrables des perfections divines. Leur figure ronde exprime l’éternité de Dieu qui n’ a, comme le cercle, ni commencement ni fin. Le jus de la grenade signifie la jouissance que l’âme a, par sa connaissance et par son amour, de la nature et des attributs de Dieu, et le contentement admirable qu’elle reçoit de cette possession. »
(4) - Selon le Coran 55, 68) :  »ils [les jardins paradisiaques] contiennent des fruits, des palmiers, et des grenadiers »
Le Paradis a des catégories, des stations et des degrés. Dans l’art islamique, certains tapis représentent des cercles principaux constitués de grenades, lesquelles contiennent d’autres grenades, etc… évoquant cette pluralité et la réintégration du centre d’un état Paradis (El-Jannah) au centre d’un autre, à perte de vue pourrait-on dire, jusqu’au centre de l’Etre -Paradis de l’Essence (Jannatu-dh-Dhât)-
- Selon des hadiths : . D’après Ibn Abbas (ra) le Prophète (saws) a dit :   »Chacune de vos grenades est fécondée par un grain d’une grenade du paradis«  .. « Anas questionna le Prophète (saws) sur ce qu’était la grenade. « Il n’y a pas une grenade, dans laquelle il n’y a pas un grain des grenades du Paradis » répondit-il. « Il n’y a pas une grenade qui n’a pas été fécondée par une goutte de l’eau du Paradis » (extrait de « la médecine prophétique » suyuti)
Parmi les hadiths relatant les grands signes de la fin des temps, voici un extrait où le Prophète (saws) parle de la grenade « …Puis Allâh honoré et glorifié lâchera une pluie qui n’épargnera ni cité ni campagne. Elle lavera ainsi la terre pour la laisser nette comme un miroir. Puis on dit à la terre: « Fais pousser tes fruits, fais revenir ta bénédiction ». Ce jour-là une seule grenade suffira pour rassasier un groupe d’hommes qui trouveront assez d’ombre sous sa coque. » (hadith Annawawi )
(5) Omar Ibn al-Khattâb (ra)demandait : O Allah, je ne Te demande pas une subsistance que Tu m’as destinée, mais la Baraka dans cette subsistance (Allâhumma innî lâ as-aluka rizqan qad qaddartuhu lî wa lâkin as-aluka al-barakata fî hâdhâ ar-rizq). »
(6) «  la sphère est proprement la forme primordiale, parce qu’elle est la moins « spécifiée » de toutes, étant semblable à elle-même dans toutes les directions, de sorte que, dans un mouvement de rotation quelconque autour de son centre, toutes ses positions successives sont toujours rigoureusement superposables les unes aux autres . C’est donc là, pourrait-on dire, la forme la plus universelle de toutes, contenant en quelque façon toutes les autres, qui en sortiront par des différenciations s’effectuant suivant certaines directions particulières ; et c’est pourquoi cette forme sphérique est, dans toutes les traditions, celle de l’« Œuf du Monde », c’est-à-dire de ce qui représente l’ensemble « global », dans leur état premier et « embryonnaire », de toutes les possibilités qui se développeront au cours d’un cycle de manifestation. »( René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Chapitre XX : De la sphère au cube)
(7) Sohrâb Sepehri
(8) Hadith Qudsi
(9) Coran LV, 12. Dieu, par son Nom “Al Wadud” [ l’Infiniment aimable et aimant] s’en est qualifié, la racine WDD suggérant l’enracinement.