Le problème du mal
Certains frémissent de rancœur quand le mot « bon » est prononcé avant « Dieu ». Aigris par la souffrance, ils ne tolèrent pas que Dieu puisse être appelé Bon (et qu’il puisse être). Maudire la souffrance et nier Dieu à cause d’elle tout en le tenant pour responsable est une réaction pour le moins curieuse : comment peut-on s’en prendre à Dieu et le nier tout à la fois ? On imagine bien un acteur amnésique se mettant à hurler pour manifester sa réprobation d’être sur scène contre son gré !
Sans imperfection comment distinguerait-on la création du Créateur ? Le fini de l’Infini ? Le relatif de l’Absolu ? « Tous les fléaux du monde sont le signe de l’éloignement et de l’existence d’un voile qui sépare de Dieu. Tous ces changements et ces malheurs dans le cœur sont le signe de la séparation d’avec Dieu » (1)
Dieu est Absolu ; sa création se déploie dans le multiple qui en est comme une image fragmentée. On pourrait comparer ces réalités relatives -versions finies de l’Infini- à une multitude de facettes lumineuses qui par écrans interposés projettent de l’ombre. Tout ce qui est affublé des chaînes de la relativité produit un reflet inversé et ténébreux. Mais l’ombre n’a de sens que par rapport à la lumière et ne fait que l’exalter et en témoigner. N’est-ce pas par le négatif qu’on révèle le positif ? L’illusion n’est à la Réalité que ce que l’ombre est au corps illuminé. Quand l’ombre disparaît-elle ? Dans la pleine lumière !
« Ne vois-tu point comment Ton Seigneur a fait mouvante l’ombre ? S’il L’avait voulu, Il l’eut faite stable. Nous avons en outre fait du Soleil un guide de cette ombre que Nous ramenons à nous avec facilité » (2)
Si Dieu permet le mal, qui ne l’oublions jamais, comme l’ombre, est limité et relatif, c’est qu’il concourt au bien ; Dieu a le dernier mot : « Tous doivent nous faire retour » dit-Il dans le Coran. Ayons donc soin de tout rapporter à la Volonté et à la Sagesse divine. (3)
« La grande contradiction de l’homme, c’est qu’il veut le multiple sans vouloir sa rançon de déchirements, il veut la relativité avec sa saveur d’absoluité ou d’infinité mais sans ses arêtes de douleur ; il désire l’étendue mais sans sa limite, comme si la première pouvait exister sans la seconde et comme si l’étendue pure pouvait se rencontrer sur le plan des choses mesurables » (4)
Le pur bonheur n’est pas pour cette vie, mais en adhérant à l’Ordre divin, le mal reçoit sa guérison, la douleur, sa consolation. Dans le mal, le plus grand malheur serait de douter de Sa Miséricorde au centre de toutes choses. Pourquoi des personnes qui nous semble dans une tourmente inextricable restent sereines et équilibrées ? Pendant que d’autres, pour ce qu’il semble être des broutilles, sont « détruites » et font appel à des cellules de soutien psychologique ? Selon la profondeur et la sincérité de notre foi, on connaît dans la faiblesse, une Force insoupçonnée ; dans l’abîme, une bouée de sauvetage ; dans les situations embrouillées, une issue. Dans une totale confiance, un total abandon, la conscience salutaire de notre impuissance nous restitue dans la Présence divine par des instants rares et précieux de nudité et d’innocence.
Dieu est bon, « Dieu seul est Bon » (5) ; le monde témoigne de la bonté, il en est une image, mais il n’est pas bon par lui-même, l’image n’étant pas le modèle. Le monde témoigne de Dieu mais il n’est pas Dieu envisagé sous l’angle de la distinctivité.(6) Une vague, en tant que vague, c’est-à-dire en tant que relief éphémère, n’est pas la mer.
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(1) « Le Livre du dedans » (Rûmi)
(2) Ce verset coranique peut se comprendre à différents niveaux. Littéralement bien sûr, et cette notion physique est vérifiable. Mais comme tout ce qui existe en « bas » symbolise le « haut », le soleil étant une image centrale, il peut être pris comme symbole et reflet du Soleil divin. Dans toutes les traditions, le soleil symbolise La Divinité « Lumière des cieux et de la terre », ce qui ne contredit absolument pas le fait que le soleil soit une étoile parmi les étoiles. Le soleil est notre étoile nourricière, notre lumière, notre chaleur, par analogie à notre lumière et notre chaleur intérieures, connaissance et amour inextricablement liés dans le Cœur.
(3) Tout ce qui nous arrive ne vient que de Dieu et nous le méritons dans la mesure ou c’est un mal nécessaire. Quand on est malade, pour guérir, il faut passer par des traitements désagréables, pénibles et même douloureux. Quand on reçoit un coup, la malice n’est pas dans le coup qu’on devait recevoir de toute éternité, mais dans l’intention de celui qui s’est illusionné sur son geste.
(4) « Comprendre l’Islam » (Frithjof Schuon)
(5) « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a de Bon que Dieu Seul » : négation suivie de l’affirmation, St Luc 18-19.
(6) « Il n’y a de divin que La Divinité » : négation suivie de l’affirmation. Profession de foi musulmane.

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